mercredi 21 mai 2014

"Égale à égal" : lutter contre la "normâlitude"

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Chez Belin, une nouvelle collection très accessible, "Égale à égal", remet quelques idées en place pour balayer les clichés et les discriminations sexistes. Les trois premiers titres, très réussis, nous prouvent que la lutte en faveur de l'égalité entre hommes et femmes relève de l'intérêt général. Et ne peut être que profitable à l'économie.


Plus de soixante ans après la publication du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, quelques piqûres de rappel ne peuvent être que bénéfiques dans la lutte pour l'égalité entre les sexes. C'est ce que propose la nouvelle collection "Égale à égal" lancée par les éditions Belin et dirigée par Annie Batlle, Hélène Kloeckner et Catherine Vidal, en partenariat avec le Laboratoire de l'Égalité. Chiffres à l'appui, les trois premiers titres de la collection rappellent, pour ceux qui en douteraient, que les stéréotypes et les discriminations sexistes continuent à peser de manière décisive sur le quotidien des femmes, dans des sociétés qui paraissent pourtant superficiellement égalitaires. Dans les sphères publiques et privées, le mâle continue, pour une large part, à imposer sa norme… souvent en dépit de la rationalité et de l'équité économique.



Dépassé, le mythe de la ménagère ? Rien n'est moins sûr, quand on lit le sondage de l'Insee que rappelle François Fatoux dans Et si on en finissait avec la ménagère ? : si les femmes, en 2010, consacrent aux tâches domestiques une heure de moins qu'en 1986, vie professionnelle oblige, elles continuent à devancer les hommes d'1h48 par jour. Ménage, cuisine, attention accordée aux enfants, ces activités domestiques constituent une "charge mentale", en termes de gestion, d'organisation et de planification, qui s'ajoute au stress professionnel. Le modèle de la femme au foyer est loin d'être aujourd'hui dominant, mais tout ce qui relève du "care" continue à être considéré comme plus "féminin". Des enjeux économiques majeurs sont alors soulevés par ces actives qui accomplissent des charges non rémunérées et non reconnues mais indispensables à la société, que l'on pense aux soins prodigués aux enfants ou aux personnes âgées par exemple. F. Fatoux rappelle que le statut de "conjoint collaborateur" a été créé en 2005, pour donner des droits sociaux à ces femmes, notamment en termes de retraite. La valorisation de ces travailleuses "invisibles" reste cependant un défi à relever pour les économistes et les pouvoirs publics.
 Et si on en finissait avec la ménagère ? revient aussi sur quelques débats qui ont largement alimenté les stéréotypes et le machisme ordinaires, notamment l'idée que les hommes qui font plus le ménage seraient moins actifs sexuellement et plus prompts à divorcer. F. Fatoux explique et nuance des chiffres qui avaient été mal compris – et qui avaient fait l'effet d'une bombe en 2013 – en rappelant notamment que ces hommes sont souvent mariés à des femmes qui ont un niveau d'éducation et un emploi plus élevés : elles ont donc une autonomie suffisante pour divorcer avec moins d'appréhension.

Égalitaire, le monde du travail ? Dans Les femmes valent-elles moins cher que les hommes ? Annie Batlle rappelle qu'au travail "un homme sur deux est une femme", et que "54% des femmes sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur, contre 39% des hommes". Pourtant, le salaire moyen d'une femme dans le secteur privé et semi-public est inférieur de 20% environ à celui d'un homme, et les femmes restent sur-représentées dans les activités les moins qualifiées et les plus répétitives. Cherchez l'erreur…

Féminisée, la télévision ? À la télévision, les hommes parlent, les femmes écoutent ! d'Arnaud Bihel est sans appel : dans les émissions de débat et de réflexion, les femmes représentent un quart des apparitions, et la parole légitime reste bien le monopole des hommes. C'est ce que résume un constat de la Commission sur l'image des femmes dans les médias en 2011 : "à l'écran, moins de 20% des experts sont des expertes". À quelques exceptions près, les femmes à la télévision restent de jolies potiches, présentes pour satisfaire la "consommation visuelle" des téléspectateurs.
Comme dans l'ensemble du monde du travail, une politique volontariste semble alors la meilleure solution, et le bâton plus efficace que la carotte. À une échelle européenne, l'Organisation internationale du travail ou la Cour de justice européenne légifèrent régulièrement en vue de promouvoir l'égalité, notamment salariale. En France, la loi Copé-Zimmermann de 2011 introduit le principe de quotas au sein des conseils d'administration, qui restent de véritables bastions masculins. Et un groupe comme France Télévisions a innové avec le projet "En avant toutes" de juillet 2013, qui prend des engagements chiffrés ambitieux.

En 70 pages claires et aérées par des "zooms" et des citations-choc, ces trois premiers titres réussissent le pari de rendre les idées plus claires sur des sujets qui structurent nos sociétés et nos quotidiens. Les références à Françoise Héritier ou à Michelle Perrot côtoient des sondages récents pour varier les éclairages anthropologiques, sociologiques et historiques. Une bibliographie et une sitothèque ciblées donnent quelques idées de lecture et un quiz, à la fin de chaque livre, permet de vérifier qu'on a retenu l'essentiel.

"On ne naît pas Barbie ou Ken, on le devient"

Les trois ouvrages de la collection soulèvent la question de la socialisation et d'une "imprégnation silencieuse" précoce qui aboutissent à l'intériorisation par les petites filles de fonctions et de rôles dévalorisés socialement. C'est ce que Bourdieu nommait la "violence symbolique", qui s'exerce sur les classes sociales défavorisées : elles ont tellement bien assimilé la situation d'infériorité dans laquelle la société les place qu'elles n'envisagent plus aucune remise en cause de cette structure sociale.
Les trois premiers titres de la collection le rappellent : les livres pour enfants, et plus globalement l'industrie du jouet, ont une influence désastreuse en formatant les comportements des unes et des autres. Pour éviter ces écueils, l'association Lab-elle a créé un label attribué aux albums illustrés qui s'éloignent des stéréotypes sexistes en proposant des rôles féminins et masculins plus créatifs. Chez Belin, le livre C'est moi le chef ! (à partir de 5 ans) de Luan Alban et Anne Montel joue par exemple avec la place des femmes en politique en racontant l'histoire d'une petite fille, Mathilda, qui décide de réformer les lois établies chez elle. Pour mener à bien sa révolution, elle se rend auprès de toutes les autorités de sa ville, que semble caractériser une belle parité : après le médecin, la directrice et les policiers, le premier ministre l'oriente vers l'ultime décisionnaire, la très british et très réceptive Reine. Les nouvelles lois proposées par Mathilda ne sont pas absolument à la hauteur de ses espérances mais la petite fille ne renonce pas pour autant à ses ambitions et ne manque pas de se répéter tous les soirs, avant de s'endormir :"Quand je serai grande, je serai chef!".