mercredi 17 octobre 2012

Interview Sandrine Devillard pour le Women's Forum

Sandrine Devillard, directeur associé senior de McKinsey au bureau de Paris, participe au Women's Forum. Elle est intervenue lors d’une présentation sur le thème: "Développer les femmes au sein des directions générales des entreprises: un relais de croissance essentiel pour les entreprises dans le monde". Elle répond aux questions de Challenges.
La situation des femmes en entreprises s’améliore peu. Quel bilan concret peut-on dresser ?
- McKinsey réalise depuis plus de six ans des études extrêmement factuelles sur le sujet. Toutes les données que nous avons exploitées exposent une corrélation forte et indéniable entre la performance des entreprises et la présence de trois femmes ou plus au sein du comité de direction. Et même si on sait que la corrélation n'implique pas la causalité, il est indéniable qu'il y a quelque chose. Malgré cela, la situation n’évolue que très lentement.
Notre dernière étude montre ainsi que le Japon compte seulement 1% de femmes dans ses comex (comités exécutifs), la France, 8%, l'Angleterre, 11%, les Etats-Unis, 14%. Les plus performants étant la Suède à 21%.
Quelles sont les barrières ?
Les barrières sont de plusieurs sortes :
Il existe tout d'abord des barrières exogènes. La situation des femmes diffère selon les législations des pays, mais également de leur culture. Les écarts sont flagrants d'un Etat à un autre et plus globalement, varient, en fonction des continents. Les femmes asiatiques accèdent, par exemple, beaucoup moins au travail qu'en France. Leur taux d'emploi n'atteint pas les 50%, alors qu'il est de 65 et 80% dans l'Hexagone. Cela s'explique par la combinaison d'une double charge : les femmes doivent travailler et s'occuper de leur famille (qui comprend leurs enfants, mais aussi leurs parents qui peuvent être dépendants) ; dans le même temps, les grandes entreprises demandent souvent à leurs salariés d'être disponibles partout et à toute heure. Une exigence difficilement conciliable avec les tâches liées à la famille et qui sont encore très souvent prises en charge par les femmes.
Autre barrière qu'on retrouve aussi bien en Asie, qu'en Europe mais aussi aux Etats-Unis : le manque de politiques "pro-famille" (facilitant l'accès à la garde d'enfant, sur la taxation des revenus, etc).
Les barrières diffèrent ensuite selon les régions du monde. En Asie, on note l'absence de femmes rôle modèles et leur difficulté à faire de l'autopromotion. En Europe cette difficulté arrive en troisième position, devant l'absence de femmes rôle modèles et le fait qu'elles ont plus de mal à faire partie de réseaux. Toujours est-il que le terreau est beaucoup moins fertile en Asie.
Il existe un autre type de barrières, liées, cette fois, à l'entreprise elle-même. Hommes et femmes fonctionnent selon des modes de leadership différents. Or ceux qui prédominent, sont, de fait, plutôt masculins. Ainsi, les hommes tendent plus souvent à prendre des décisions seuls et faire activement participer les autres à leur mise en œuvre (c'est ce qu'on appelle "la prise de décision individuelle"). Ils sont également plus prompts à suivre de près la performance, les erreurs et les écarts par rapport aux objectifs et à prendre des actions correctrices (c'est le "contrôle et actions correctrices"). De leur côté, les femmes tendent plus souvent à adopter des modes de leadership davantage axés sur le développement des autres, l'attente et la reconnaissance et la prise de décisions participatives. Ces modes sont aussi efficaces et créateurs de richesse et de valeur, mais ils sont différents et peuvent devenir des freins pour les femmes dont le mode de leadership est moins valorisé. Ces modes de leadership sont complémentaires et cette complémentarité est bénéfique pour l'entreprise. Pour cela, il faut encore que les femmes atteignent des postes suffisamment importants pour que leur style de leadership soit pleinement valorisé, et pouvoir le combiner avec celui de leurs collègues…
Les femmes se heurtent également à d'autres barrières liées à la façon de procéder des entreprises. C'est le cas quand les sociétés arrêtent les hauts potentiels à 30-33 ans, âge où les femmes deviennent généralement mères. Les entreprises évaluent par ailleurs souvent leur cadre selon leur capacité à prendre des décisions individuelles. Or, nous venons de voir que ce n'est pas le mode de leadership le plus souvent adopté par le femmes.
• Enfin les femmes se posent parfois des barrières elles-mêmes. Conscientes des difficultés auxquelles elles vont être confrontées, elles se restreignent dans leurs aspirations. Seulement, quand elles veulent revenir en selle, c'est souvent trop tard.
Comment améliorer la situation des femmes en entreprise ?
- La situation n'est pas désespérée, loin de là ! Surtout que les mentalités évoluent et qu'on ne se demande plus pourquoi favoriser l'accès des femmes aux entreprises et aux postes décisifs, mais comment le faire. Bien évidement, il n'y a pas de recette miracle, mais un travail de longue haleine à effectuer à plusieurs niveaux de manière à créer un véritable écosystème favorable à la mixité. Les entreprises disposent de plusieurs leviers :
• Il est d’abord clé de faire de la mixité une priorité sur leur agenda stratégique.
L’engagement des PDG et des membres du comex afin de promouvoir la mixité dans leur société doit être visible et suivi d’actions dans les faits.
• Il faut aussi mettre en place des programmes permettant aux femmes de se développer en tant que leader.
• Les entreprises peuvent enfin mettre en place des catalyseurs collectifs. C'est-à-dire : avoir des indicateurs pour détecter, à tous les étages de la hiérarchie, les problèmes mais aussi les améliorations dues à la politique de l'entreprise ; adopter des processus RH qui ne pénalisent pas les femmes ; mettre en place des infrastructures adaptées à la vie active des femmes (télétravail, crèches, etc).

Au total, sur l’échantillon d’entreprises de l’étude menée en 2012, on constate que 16% des entreprises qui ont mis en place des actions en faveur de la mixité obtiennent des résultats (c'est-à-dire 20% de femmes dans leurs directions générales), mais surtout que la grande majorité d’entre elles (66%) ont mis en place des actions mais ont des résultats encore très faibles. Si pour certaines cela est dû au fait qu'elles ont mis en place des dispositifs depuis trop peu de temps pour pouvoir mesurer le changement, dans la grande majorité des cas on se rend compte que le problème réside dans la manière dont les mesures sont concrètement mises en œuvre sur le terrain.

Source : Challenge