Pour la première fois de l’histoire du quotidien, c’est une femme qui vient d’être élue à la tête du Monde. Vendredi 1er mars, la nomination de Natalie Nougayrède, 46 ans, a été confirmée par un vote des rédacteurs, selon la procédure habituelle au journal, instaurée à sa création dans le but de protéger l’indépendance des rédactions. A 79,98%, les journalistes du quotidien, des magazines et du site web lui ont accordé leur confiance, soit 5 points de plus que le score réalisé en son temps par Erik Izraelewicz, décédé en novembre dernier, qu’il s’agissait de remplacer. Un succès aussi massif qu’inattendu pour celle qui avait déclaré sa candidature il y a à peine un mois.
Le mercredi 30 janvier, à 19 heures 53, Natalie Nougayrède a cliqué sur la case « envoyer » de sa messagerie électronique, et toute la rédaction du Monde a simultanément reçu l’annonce de sa candidature à la succession d’Erik Izraelewicz. « Je me présente au poste de directeur du journal », annonçait en quelques lignes cette journaliste très respectée, mais peu connue de ses collègues, en-dehors du service étranger où elle travaille depuis 1996. Une décision prise in extremis, alors que les actionnaires devaient auditionner, le lendemain, les trois candidats déclarés : Alain Faujas, Arnaud Leparmentier et Franck Nouchi. C’est finalement sur elle que le « trio BNP » - Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse - a porté son choix. Cette diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg et du Centre de Formation des Journalistes exerce actuellement l’activité de « correspondante diplomatique » du quotidien. En 2005, cette spécialiste de la Russie et des pays de l’est a reçu le prix Albert Londres en 2005 pour sa couverture de la guerre en Tchétchénie.
Natalie Nougayrède a pris tout le monde par surprise. « Elle m’a prévenu le 30 janvier au matin, raconte Alain Beuve-Méry, président de la Société des rédacteurs du Monde (SRM). Elle m’a proposé d’aller boire un café après le bouclage du journal, parce qu’elle avait quelque chose à me dire ». Réputée pour son éthique intransigeante, Natalie Nougayrède est connue pour son bras de fer avec Bernard Kouchner, qui avait demandé en vain qu’elle soit mutée lorsqu’il était au Quai d’Orsay. Dans sa profession de foi numérique, l’ancienne correspondante à Moscou assure vouloir « rassembler tous ceux qui pensent que nous devons exceller encore plus, sur tous les supports ». Mais une incertitude pèse sur l’avenir de sa candidature : elle n’a jamais exercé aucune responsabilité de chef de service ou de rédactrice en chef. Saura-t-elle diriger un journal ?
En l’espace d’un mois, Natalie Nougayrède a su convaincre ses confrères et consœurs de la rédaction, et manifesté « un charisme certain », selon plusieurs témoignages. Forte de son score enviable, réalisé de surcroît avec un fort taux de participation (88,6%), Natalie Nougayrède prendra ses fonctions après une dernière réunion du conseil de surveillance, le 6 mars. Décidée à assurer elle-même les deux fonctions de directrice du journal et de directrice des rédactions, elle va faire venir de Libération son futur bras droit, Vincent Giret, rencontré à Prague en 1992 quand tous les deux y suivaient la transition post-communiste. Rares sont les femmes qui occupent des postes élevés dans la presse, surtout celui de directeur d’un journal quotidien : Dominique Quinio, à La Croix, a été la première en France, et la seule jusqu’à la nomination de Natalie Nougayrède. Première femme à diriger Le Monde, celle-ci assure cependant que sa démarche n’a rien de féministe.
Anne-Marie Roccohttp://femmes.blogs.challenges.fr/archive/2013/03/02/une-femme-de-tete-au-monde.html#xtor=EPR-14-[Quot10h30]-20130304