Les réseaux professionnels féminins sont en plein essor, cette tendance est incontestable. Mais quels sont leurs objectifs ? Sont-ils assez influents pour améliorer la parité au sein des entreprises françaises ?
« Accent sur Elles », « Financi’Elles », EPWN… Depuis quelques années, les réseaux professionnels créés par et pour les femmes ne cessent de croître, tant à l’interne qu’en externe, et se déclinent désormais par secteur ou par fonction. Dans leur besace, un panel d’outils - échanges, conseils, ʺréseautageʺ, formations, coaching, mentoring, etc. - pour permettre à leurs membres de prendre leur destin professionnel en mains et ainsi de booster leur carrière. Chez EPWN (European Professional Women's Network), l’enjeu se concentre sur l’autonomie et l’assurance des femmes. « Les femmes savent très bien donner, mais pas toujours demander. Or, le progrès consiste à les inciter à faire les deux », explique Dana Allen, co-présidente de l’association. Via le réseau, les femmes peuvent suivre des séances de coaching qui leur apprennent à mieux négocier un salaire ou demander une promotion. «Les femmes doivent prendre conscience du jeu de la négociation puis apprendre à y jouer comme les hommes », ajoute Dana Allen.
Y-arrivent-elles ? « Nous n’avons pas encore un recul suffisant pour connaître l’impact exact. Les réseaux se développent depuis seulement 5 ans, avec une accélération depuis 3 ans », souligne Caroline Lagayette, responsable du pôle conseil de TFCO (éditeur du site Terrafemina). Mais cela semble bien parti. Chez Accenture, les femmes qui suivent le programme du réseau « Accent Sur Elles » sont promues 2,5 fois plus que leurs semblables au même grade.
L’appui nécessaire des ressources humaines
Pour parvenir à ce résultat, les RH du groupe ont joué un rôle essentiel, explique Armelle Carminati, fondatrice du réseau DG Capital Humain & Diversité d’Accenture Monde : « Je me suis aperçue un peu tard, après 5 ans d’action, qu’il fallait faire alliance avec les RH. Les réseaux vont souvent le nez au vent avec parfois un peu d’arrogance. Mais dans les grands groupes, si l’on veut déployer des actions sans lien avec les professionnels des ressources humaines, on perd du temps. » Une interdépendance qui peut aussi avoir ses limites. «Les réseaux sont souvent des initiatives soutenues par la direction, on peut donc se demander dans quelle mesure ils peuvent s’éloigner de la politique maison. Je n’ai encore jamais vu un réseau féminin interne en position de faire du lobbying », rapporte Viviane de Beaufort, professeur à l’Essec et directrice du programme « Entreprendre au féminin ». Armelle Carminati, pour sa part, l’affirme : « je dispose d’une carte blanche totale sur les sujets. Je ne m’engage que sur les résultats, et pas sur la manière de les atteindre.»
Mesurer pour mieux agir
Pour Financi’Elles, le réseau de femmes cadres du secteur bancaire, les chiffres restent le meilleur outil d’action. C’est dans ce but que l’Observatoire de la Mixité du réseau mesure la position des femmes cadres au sein des entreprises du secteur afin de suivre les résultats des politiques mises en place. Pour rendre compte de la réalité, l’association a créé un graphique simple, baptisé le « Poisson ». Il montre très nettement le déséquilibre entre une majorité de femmes dans les niveaux « techniciens » et leur faible présence dans les niveaux d’encadrement supérieur. « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas », estime Sophie Vernay, la directrice générale de Financi’Elles. Mais grâce à ce type de support très visuel, « il est possible d’entamer le dialogue», remarque-t-elle. Le secteur financier est très révélateur : bien que plus de la moitié des effectifs soient des femmes, elles sont moins de 10 % à occuper des postes de dirigeants. A voir comment le poisson va évoluer donc.
Etendre la cible des femmes concernées
L’autre défi sera ensuite d’élargir leur cible. Très centrés sur la progression de carrières et la diversité dans les hautes sphères de l’entreprise, les réseaux oublient trop souvent les femmes qui se situent en bas de l’échelle. « Toucher les cadres est plus facile pour initier la démarche. Mais, à terme, les réseaux auront besoin de tout le monde pour gagner en légitimité », explique Caroline Lagayette. « L’accès des femmes au plus niveau aura des effets aspirationnels sur l’ensemble de la cordé, espère de son côté Sophie Vernay. Les femmes non cadres ont d’autres problématiques, comme la précarité ou le harcèlement, pour lesquelles les syndicats sont plus présents ». Un avis que nuance Viviane de Beaufort: « les réseaux doivent s’intéresser à toutes les femmes et travailler sur des questions précises comme l’articulation des horaires de travail ou les gardes d’enfants. Ils ne doivent pas seulement pousser les hauts potentiels vers le haut, mais doivent faire une politique humaniste depuis le bas de l’échelle. »
Alerter sur le terrain
Par ailleurs, les actions menées au sein des entreprises ne suffisent pas. Les pouvoirs publics et le législateur doivent aussi être sollicités. « Tout se joue dans les murs de l’entreprise car c’est là qu’on agit. Mais les piqûres de rappel s’organisent en dehors. D’où la nécessité d’influencer le législateur et les décideurs business », souligne Armelle Carminati. C’est le but de certaines associations féministes, comme La Barbe qui a opté pour une stratégie en dehors du politiquement correct. Les militantes se rendent régulièrement dans des événements professionnels (réunions publiques, AG d’actionnaires, think-tank...) où le manque de représentation féminine est criant. Flanquées d’une fausse barbe, elles y félicitent ironiquement les hommes d’avoir réussi à rester entre eux. Pour ces militantes, les réseaux traditionnels, à l’image de Financi’Elles, exercent un travail de lobbying nécessaire, mais leurs happenings de plus en plus médiatisés restent indispensables pour faire bouger les lignes. « Notre objectif est de mettre les projecteurs sur l’omniprésence des hommes, explique Julia, membre de La Barbe. Nous allons là où les hommes ne veulent pas qu'on soit, pour dire des choses qu'ils ne veulent pas entendre ». Chaque mois, 3 manifestations environ sont la cible de La Barbe.
Céline Oziel
Publié le 19/02/2013 Novethic
www.novethic.frPublié le 19/02/2013 Novethic